Le contexte :
La légende mythique qui suit retrace en détail les dernières années du règne du dieu Râ sur Terre lorsqu’il était roi des dieux et des hommes et propose une version de la création du monde.( Le livre de la vache du ciel nous apprend la formidable puissance du soleil qui combat sans relâche les ennemis de l'ordre cosmique depuis les origines. Enfin ce récit rappelle "le contrat" entre l'Egypte et les dieux dont le souverain est garant car le démiurge accorde un règne prospère à son héritier Pharaon si le pays est convenablement gouverné.)Râ se met en colère :
L’histoire commence alors que dieux et hommes cohabitent sur la Terre sous la tutelle du Maître Universel Râ, et tout paraît parfait. Pourtant, avec le temps, le dieu a changé : ses membres sont en or, ses os en argent et ses cheveux en lapis-lazuli. En bref, il a vieilli et les hommes le trouvent trop sénile et décident de se révolter.Sa Majesté entendit les propos des hommes sur son compte. Alors il donna des ordres aux gens de sa suite :
" Convoquez de ma part mon Nil divin, Shou et Tafnouît, et aussi Sibou, et encore Nouît, tous les dieux créateurs, les pères et les mères qui étaient avec moi quand j'étais dans le Nou, dans le chaos du commencement, auprès des dieux. Le chaos lui-même : Noum, il faut l'appeler lui aussi, en mon nom. Que chacun des dieux amène avec lui le cercle des dieux qui l'entourent et qui l'accompagnent. Tu me les amèneras en cachette, tu viendras avec eux au grand château afin qu'ils m'écoutent et me donnent leur avis."
Le conseil des dieux, qui était comme un conseil de famille, se réunit donc en présence des ancêtres de Râ et aussi de sa postérité, ceux de ses futurs descendants qui attendaient, flottant dans les eaux du commencement, l'heure de leur naissance et le moment de se manifester, ses enfants Shou et Tafnouît, ses petits-enfants Sijou et Nouît, tous étaient là.
Ils se rangèrent en cercle autour du trône de Râ ; selon l'étiquette ils se prosternèrent dans la poussière, le front contre terre, devant Sa Majesté et ensuite la délibération commença. Râ prononça les paroles suivantes :
"O Nou, dieu plus ancien et mon aîné, duquel je tiens l'existence et vous, dieux ancêtres, voici que les hommes sortis de mon œil, mes créatures, ont tenu des propos contre moi. Ils sont hostiles à ma majesté. Dites-moi ce que vous pensez, car je vous ai convoqués pour savoir ce que vous diriez de mes projets, avant de les massacrer, comme j'en ai l'intention."
Nou, l'ancêtre le plus ancien, prit le premier la parole et ce fut pour demander qu'on fît aux coupables un procès en forme afin de les condamner régulièrement avant de les punir et aussi afin de prouver qu'ils étaient coupables :
"Mon fils Râ, dieu plus grand que le dieu qui t'a fait, plus ancien que les dieux qui t'ont créé, rend la justice à la place qui est la tienne et la terreur sera grande quand ton regard pèsera sur ceux qui complotent contre toi."
Râ fit observer que si on déployait la justice royale devant son appareil solennel, les hommes, avertis du sort qui les menaçait, n'attendraient pas d'avoir comparu devant le trône divin pour se sauver dans le désert, hors de toute atteinte, le cœur terrifié à l'avance de ce que Râ pourrait avoir à leur reprocher et à leur faire expier. Car, dans le désert, les dieux protecteurs de l'Egypte ne pouvaient plus les poursuivre.
C'était l'asile inviolable.
Le conseil des dieux, convaincu que les craintes de Râ étaient justifiées, décida que les hommes seraient massacrés sans jugement. L'œil divin serait le bourreau :
"Sers-toi de ton œil, ô Râ, pour frapper ceux qui ont conçu contre toi des projets funestes, car aucun œil n'est plus redoutable que le tien alors qu'il emprunte la forme de Sekhmet."
Râ envoie Sekhmet punir les hommes :
Et ainsi fut fait. L'œil de Râ prit la forme de la déesse Sekhmet et fondit à l'improviste sur les hommes, les poursuivant par monts et par vaux à grands coups de couteau.
Au bout de quelques heures, le dieu Râ, lassé du carnage et qui n'avait pas voulu la destruction de la race humaine, mais seulement le châtiment des coupables du crime de lèse-majesté, ordonna de cesser le massacre. Mais la déesse avait gouté le sang et elle refusa d'obéir.
"Par ta vie, répondit-elle à Râ, quand je meurtris les hommes, mon cœur se réjouit", et comme il convient en jurant par la vie de Râ, elle se toucha le nez et l'oreille, et mit ses mains sur sa tête. C'est pourquoi les égyptiens la nommèrent par la suite Sekhmet la puissante, la lionne, la sauvage, celle qui frappe et qui assomme sans merci, et c'est aussi pourquoi on la représente avec une tête de lionne sur un corps de femme. Enivrée par le sang, Sekhmet ne cessait plus de tuer.
Seule, la tombée de la nuit l'arrêta dans sa course à travers les maisons et les rues d'Héliopolis, où depuis des heures elle n'avait cessé de piétiner dans le sang.
Râ profita de l'obscurité de la nuit pour lui tendre un piège et mettre fin à sa rage. Il dit : "Qu'on appelle de ma part des messagers habiles, rapides, qui filent comme le vent."
Ces messagers lui furent amenés sur-le-champ. Alors Sa Majesté dit :
"Qu'on coure à Eléphantine et qu'on m'apporte des mandragores de bonne qualité. Et puis aussi une quantité de grenades énormes."
Dès qu'on lui apporta une quantité de mandragores et une masse de grenades, le dieu fit venir le meunier qui est dans Héliopolis afin de les faire piler. Pendant ce temps, les servantes ayant écrasé du grain pour faire de la bière, et tout préparé pour brasser, on mêla les mandragores pilées et le jus des grenades passées avec la bière et le sang des hommes. De ce mélange on remplit sept mille cruches. Râ lui-même examina ce breuvage alléchant et vérifia soigneusement les vertus de la potion.
"C'est bien, dit-il. Avec cette potion, j'arracherai les hommes à la fureur de la déesse."
Et il dit encore aux gens de sa suite :
"Chargez vos bras de ces cruches et portez-les au lieu où elle a massacré tant d'hommes." Et là, le grand Râ fit apparaître l'aube au milieu de la nuit afin qu'on pût voir clair pour répandre à terre le philtre qui remplissait les sept mille cruches. La terre s'en imbiba et les champs en furent inondés bien loin et la nappe liquide atteignait au moins quatre palmes de haut.
La déesse se releva le matin, prête à recommencer le carnage. Mais elle trouva tout inondé et son visage se radoucit à cette vue. Elle avait soif et elle but. Quand elle eut bu à satiété le liquide qui, grâce au jus de grenade et au sang, lui donnait l'illusion du sang des hommes, ce fut son cœur qui s'adoucit. Elle s'en alla repue, ivre et satisfaite, sans plus songer à tuer des hommes.
Mais Râ, dans sa sagesse qui prévoit l'avenir, songea que plus tard, son ivresse dissipée, elle était capable de retrouver sa fureur. Il institua donc des rites pour éviter ce malheur. A la fois pour instruire les hommes des générations futures du châtiment qu'il avait infligé aux impies et pour dédommager Sekhmet, frustrée en somme de ses victimes, il décida que chaque jour de l'an on brasserait autant de cruches de bière qu'il y aurait de prêtresses du soleil. Et depuis, les hommes fabriquent ces cruches de bière pour les offrir à la déesse le jour de sa fête. Quant à la date du massacre, les hommes ne l'ont pas oubliée et c'est pourquoi le 5 du mois de tybi est un jour hostile et trois fois hostile.
Râ quitte les hommes et la terre
Et le temps passa... et vint un autre jour où Râ, las et vieux, songea au repos.
"Par ma vie, dit-il à son cercle de dieux (et il n'oublia pas de se toucher le nez et l'oreille, ni de mettre les deux mains sur sa tête), mon cœur est trop las pour que je reste encore parmi les hommes. Je serais bientôt forcé, du reste, de recommencer à les sabrer jusqu'au dernier. Donner la mort, ce n'est pourtant pas le don que j'aime à faire."
Les dieux, surpris, se récrièrent : "Ne parle donc pas de tes lassitudes au moment même où tu as remporté la victoire selon ta volonté - il vaut mieux n'en pas souffler mot."
Mais Râ ne les écouta pas. Il était décidé à abandonner ce royaume où l'on osait murmurer contre lui et il s'adressa à Nou : "Mes membres sont décrépits et, pour la première fois, je connais la faiblesse. Je veux cacher l'humiliation de ma vieillesse. Je veux m'en aller d'ici, mais je veux aller dans un endroit où nul ne pourra m'atteindre."
Il fallait donc trouver pour lui donner asile une retraite inaccessible, difficile à découvrir dans un univers encore mal organisé et imparfait. Nou pensa que le fils de Râ, Shou, pourrait occuper le trône de son père et gouverner les hommes avec l'énergie d'un jeune dieu. Et pour donner à Râ un refuge où nul ne pourrait le déranger, il décida d'achever son ouvrage et de parfaire la création du monde.
Nou, dans sa majesté, déclara :
"Fils Shou, agis pour ton père Râ : il faut accomplir sa volonté. Et toi, Nouît, ma fille, place ton père Râ sur ton dos et tiens-le suspendu au-dessus de la terre." Nouît répondit : "Et comment cela, ô Nou, mon père ?" Mais docilement elle obéit. Elle se transforma en vache et plaça la majesté de Râ sur son dos.
Et quand les hommes qui avaient survécu au massacre arrivèrent pour rendre grâce au Seigneur Râ, qui les avait épargnés et protégés contre le couteau de Sekhmet, voici qu'ils ne le trouvèrent plus dans son palais.
Une vache immense, certainement d'origine céleste, était debout et ils aperçurent le Seigneur Râ sur le dos de la vache. Et il avait l'air si décidé à quitter la terre qu'ils n'osèrent même pas essayer de le détourner de son projet. Cependant ils voulurent lui donner une preuve de leur repentir et mériter son pardon et ils lui dirent : "Attends jusqu'à demain, ô Râ, notre maître, et nous abattrons devant toi ceux de tes ennemis qui ont proféré des menaces contre toi et tenu de mauvais propos sur ton compte."
Sa Majesté Râ quitta donc le dos de la vache et retourna dans son palais. A ce moment la terre fut plongée dans les ténèbres.
Mais quand la terre s'éclaira au matin nouveau, les hommes sortirent avec leurs arcs et leurs flèches et commencèrent à tirer leurs traits contre les ennemis de Râ et à les abattre devant lui.
Sur quoi Sa Majesté leur dit : "Vos péchés vous sont remis, car le sacrifice des coupables rachète la faute des autres hommes."
Et de ce jour datèrent les sacrifices sanglants. Chaque fois que les hommes eurent offensé le dieu - et le cas est fréquent - il fut entendu que, pour effacer l'injure, ils devaient sacrifier les coupables afin d'apaiser la colère divine et obtenir le pardon en rachetant le péché - et le souvenir de la colère de Râ et de la rage destructive de Sekhmet obligea les hommes à ne pas hésiter de punir les coupables pour éviter que le châtiment mérité par eux ne tombât sur tous les hommes.
Cependant le cœur de Râ était tendre envers les hommes, ses créatures ; il lui avait été pénible de les voir mutiler eux-mêmes l'humanité coupable. Il décida donc plus tard que les bêtes seraient sacrifiées à la place des hommes et que des victimes de remplacement, des bœufs, des gazelles, des oiseaux seraient agréables aux dieux, à condition que le prêtre sacrificateur n'oubliât pas de prononcer les paroles magiques qui faisaient prendre à ces victimes la place des hommes.
La création d'un nouveau monde :
Et après avoir conclu ce contrat d'alliance qui le réconcilia avec les hommes survivants, le grand Râ retourna vers la Vache Céleste et monta sur son dos. Alors Nouît se leva, s'arc-bouta sur ses quatre jambes comme une voûte, mais elle plia sous le faix. Elle demanda à être soutenue, sentant ses forces la quitter et ses jambes faiblir.
Alors Râ dit : "Mon fils Shou, place-toi sous ma fille Nouît pour la soutenir afin qu'elle puisse me porter. Soutiens-la avec un de ces piliers-ci et un de ces piliers-là qui vivent dans le crépuscule, maintiens-la au-dessus de ta tête et sois son pasteur !". Shou obéit et Nouît fut rassurée. Son ventre, allongé en plafond, fut bien appuyé et soutenu par quatre piliers que surveillent Horus, l'épervier, au midi, Sat au nord, Thot à l'ouest et Sapdi à l'est. C'est la voûte céleste et l'univers fut muni enfin du ciel où Râ, le dieu tout-puissant, s'occupa d'organiser le monde nouveau qu'il découvrait sur le dos de la vache démesurément agrandi. Il y établit sa résidence en deux endroits, dans le Champ des herbes, d'abord, et ensuite dans le Champ du repos. Il y vit là, loin de la terre et des hommes, au ciel.
(Extrait des Contes et légendes de l'Egypte ancienne par Marguerite Divin).
Conclusion :
Ici, l'Œil de Râ prend la forme de Sekhmet la lionne afin de punir les hommes. Cependant, dans d'autres légendes, l'œil de Râ est un épithète pour parler d'Hathor, voir même de Bastet. Si le titre d'Œil de Râ (ou Rê) est étroitement associé à Hathor, il est également porté par quantité d’autres déesses, qui ne sont pas nécessairement cités comme étant les différents aspects d'Hathor. Ce titre indique donc que la déesse qui le porte, possède les caractéristique de l’œil de Rê : C’est à dire qu’elle est sa fille et/ou son amante, celle qui stimule le désir du dieu-suprême et participe à la création, mais elle représente aussi sa puissance destructrice et terrible. L’œil de Râ semble donc être un terme générique pour désigner une idée du divin au féminin au sein du panthéon égyptien, la puissance féminine compagne du démiurge sans qui il ne peut créé.
Il est communément accepté, dans les légendes et variations, une différence entre l'Œil de Rê et l'Œil d'Horus. L'iris de l'Œil d'Horus est bleu, il représente la Lune et ses phases changeantes (pleine lune lorsque l'œil est ouvert, nouvelle lune lorsqu'il est fermé). Il est régulièrement admis que l'Œil d'Horus soit dessiné comme étant l'œil gauche, puisque c'est cet œil qu'a perdu le dieu faucon dans son combat contre Seth. L'Œil de Rê est représenté comme étant l'œil droit. Son iris est souvent rouge, couleur de soleil puisque Rê est le dieu soleil.
Je continuerais à chercher d'autres mythes parlant ainsi de l'Œil d'Horus ou de l'Œil de Râ. N'hésitez pas à me faire savoir si vous souhaitez lire des éléments plus particulier sur les légendes égyptiennes. Je me ferais un plaisir de les rechercher pour vous les retranscrire ici.
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