Egypte : L'Œil du soleil



Les pharaons régnaient sur l'Egypte depuis des lustres quand intervint une révolution au sein du panthéon local ; vers 2000 avant Jésus-Christ, apparut une nouvelle divinité nommée Bastet. Tout d'abord protectrice des enfants royaux, cette déesse au caractère aimable prit les traits d'une chatte, représentée couchée, allaitant ses petits, accroupie sur son train arrière, ou encore debout, femme à tête de chatte munie du panier d'osier des sages-femmes et du sistre, l'un des tout premiers instruments de musique. Qui ne connaît ces effigies de bronze figurant dans les plus grands musées ?

Statuette de Bastet
Bientôt intronisée déesse de la musique et de la danse, protectrice des médecins, mages et accoucheuses, Bastet finit par régner sur les autres divinités égyptiennes à l'époque saïte, un millier d'années avant notre ère. Sa renommée dépassa les frontières, éveillant la curiosité de l'historien grec Hérodote, venu se mêler aux pèlerins assistant aux fêtes de Bastet, qui se tenaient dans le temps de Bubastis, situé au cœur du delta du Nil.

Mais comment les chats arrivèrent-ils donc en Egypte ? Il y a là un mystère. Certains avancent la possibilité que les animaux aient été importés de Perse, déjà domestiqués, au hasard des campagnes guerrières ; d'autres prétendent que les chats vinrent du désert libyen, et qu'ils suivirent les esclaves enrôlés pour bâtir les pyramides. Les égyptiens de l'antiquité croyaient les chats descendus de la constellation du Lion, ou même venus de l'Atlantide. Aucune hypothèse, vraisemblable ou fantaisiste, n'a pu être vérifiée ! La mythologie égyptienne, en revanche, nous éclaire sur la naissance de Bastet, divinité tutélaire de tous les chats de la terre des pharaons.


Chacun sait à quel point le soleil darde ses rayons brûlants sur les étendues désertiques de l'Egypte, réduisant les zones de végétation aux seules rives du Nil et à quelques oasis. Rê, le dieu solaire, a toujours régné en maître sur le pays, imposant sa loi, y compris au sein de sa famille divine. A tel point qu'il eut avec sa fille Tefnout, déesse de l'humidité, une querelle si violente que Tefnout quitta Memphis, capitale royale, et s'enfuit dans le désert de Nubie. Tefnout possédait un caractère très violent : ce n'est pas pour rien qu'elle était surnommée l'Œil du soleil ! Ivre de colère et de rage, désireuse de se défouler, celle que les papyrus nomment la Furieuse s'incarna sous les traits d'une lionne féroce, Sekhmet ou Hathor selon les textes. L'Œil du soleil provoqua famine et épidémies, pour le seul plaisir de détruire, et Rê, désireux de mettre fin à cette cavale meurtrière, dépêcha vers elle le dieu Thot, greffier céleste, afin de ramener Tefnout à la raison.

La partie fut rude ! La déesse ne voulait rien entendre, mais Thot, habile conteur, sut la distraire par
Sekhmet par l'artiste Jolandalife
ses récits et détourner son attention des plaisirs macabres qui étaient les siens. Thot quitta même son apparence traditionnelle d'ibis, devenant à l'occasion le dieu guerrier Onouris, dont le nom signifie justement "celui qui a ramené la Lointaine", mieux équipé pour lutter contre la lionne vindicative qu'était devenue Tefnout. Le stratagème réussit pleinement : les rugissements de Sekhmet la cruelle se transformèrent bientôt en doux ronronnement, la force céda la place à la grâce ; Sekhmet s'effaçait pour donner naissance à la chatte Bastet. Ainsi fut jugulée la révolte de l'Œil du soleil.

Cette légende repose sur un fond de vérité. L'Œil du soleil passant de la sauvagerie à la douceur, c'est le lion qui disparaît du désert nubien - puis de tout le sol égyptien - et l'apparition du chat bientôt divinisé sous l'identité de Bastet. Les prêtres furent frappés par cet animal pouvant fixer l'astre solaire sans gêne, mais aussi capable d'une parfaite vision nocturne. Ce lien très fort avec le soleil et la lune, la facilité avec laquelle la chatte mettait bas, sa fertilité, son soin à élever ses petits, sa résistance aux maladies, ainsi que son sens inné de l'élégance et de la beauté lui valurent d'être divinisée. En outre, l'animal était apprécié aussi bien pour ses qualités de prédateur que pour le charme de sa compagnie par la population.

Le mythe de l'Œil du soleil est en outre une métaphore théologique et politique, montrant l'amorce d'un transfert de pouvoir, de la Haute-Egypte vers la Basse-Egypte et les cités deltaïques, là précisément où sera vénérée Bastet, à Tell Basta, appelée par la suite Bubastis par les Romains, puis Zagazig par les Arabes.

Le mythe de l'Œil du soleil, The Cat in Ancient Egypt de Jaromir Malek (1993)
Source et explication reprise dans le recueil "Contes et légendes du chat" de Robert de Laroche.

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