Il s'est écoulé un temps considérable entre l'émergence des ancêtres errants et le monde indien. Les Zunis ont pourtant conservé le goût des voyages en pirogue des grands êtres mythiques qui arpentaient le cosmos.
Le jeune brave s'escrimant à la hache sur l'arbre centenaire s'appelait Yatokya. C'était un habile chasseur, un coureur des bois qui savait observer. Il voyait les Indiens prier le Soleil, faire des offrandes, fabriquer les bâtons de prière. Il était respectueux des croyances mais désirait arpenter la vie pour en comprendre les lois : il voulait savoir si le Soleil recevait ce qui lui était si intensément adressé. En donnant le premier coup de hache, Yatokya avait scellé sa décision : trouver le Soleil, partir vers l'ouest pour cueillir la réponse dont il avait besoin.
Il évida le tronc, fabriqua deux bouchons pour le rendre étanche des deux côtés, entra à l'intérieur. Son père aida les prêtres à boucher les extrémités, colmata les failles de colle de résine. Après quoi, ils poussèrent l'embarcation dans la rivière et le courant l'emporta.
Il vogua quatre jours, quatre nuits en direction de l'ouest. La rivière devint un fleuve, le courant enfla tant qu'il jeta le tronc comme une paille sur la rive nord. Yatokya tenta en vain de sortir. L'arbre s'était échoué sur le territoire des serpents à sonnettes. Justement une jeune fille-serpent glissait à cet endroit, se demandant ce que pouvait contenir ce grand tronc creux. Elle en fit le tour et demanda :
- Qui voyage dans l'arbre ?
- Yatokya, je suis un Zuni, et toi ?
- Juste Kohana.
- Aide-moi à sortir de là, Kohana !
La fille-serpent siffla sur la colle, le jeune homme donna un coup d'épaule sur le bouchon, qui céda. Il sortit, ses bâtons de prière en main.
- Où vas-tu dans ton arbre-canoë ?
- Vers l'ouest, comprendre le monde et visiter le Soleil.
- Viens d'abord avec moi, tu ne peux leurrer les étoiles qui protègent la demeure du Très Haut. Il te faut de l'aide.
Les serpents étaient nombreux et serviables. Quand Yatokya répéta ce qu'il avait dit à Kohana, ils furent d'accord pour l'aider. Le chef dit que le voyage était très dangereux. Après une nuit de repos dans leur campement, le jeune homme reçut une vieille peau de serpent : qu'il fasse un canoë suffisamment rapide et fiable pour continuer ton périple.
- Est-ce que l'une de mes filles suivra ce brave quand il rentrera chez lui ?
- Peut-être je suivrai ce brave quand il rentrera chez lui, répondit Kohana.
- Comprendre le monde et visiter le Soleil.
- Mon petit-fils sera bientôt de retour. Attends !
Le Soleil arriva. Il vit Yatokya et s'évanouit. Après, il se réveilla et lui demanda la raison de sa présence.
- J'observe mon peuple. Les miens te prient jour et nuit, t'offrent la farine sacrée, fabriquent des bâtons de prière. La farine va dans la terre, les bâtons pourrissent. Reçois-tu leurs présents, leurs prières, ou font-ils des choses stupides et vaines ?
- Je récolte tout ce qu'on m'adresse et je le rapporte ici.
Yatokya vit une haute colline de farine, de coquillages blancs, de turquoises, des bâtons de prières par milliers. Il vit une autre colline un peu plus loin, à l'écart de la demeure.
- Je récolte aussi les formules et les offrandes des sorciers. Ils me demandent de rendre tel malade, tel autre de le faire mourir ou de le ligoter. Ces cadeaux-là me répugnent, je les jette. Je garde seulement ce que le Soleil doit garder. Si tu veux comprendre les lois du monde, accompagne-moi et juge toi-même de ce qu'il est bon de croire ou de laisser.
Le Soleil déploya ses plumes d'ara jaune et sa roue éclaira l'azur. Il mit sa peau de renard immaculée et se couvrit d'hermine blanche. Le ciel prit la teinte de la farine sacrée. Le monde souterrain fut saisi d'un murmure : Yatokya suivait le Très Haut. Il vit des gens dont les oreilles pendaient jusqu'aux genoux, d'autres dont les cheveux tombaient sur les pieds. Aux dires du Soleil, ils se couvraient la nuit avec pour dormir. Quand ils quittèrent le monde souterrain, ils furent à l'est.
Le Soleil le conduisit à ses sœurs. Elles s'évanouirent, s'éveillèrent, le nourrirent, le vêtirent de plumes d'ara, d'hermine, d'un poncho, d'un collier. Elles dessinèrent une ligne noire sous ses yeux, deux cercles sur ses joues, une ligne verticale sur son menton.
- Te voilà à la ressemblance du Très Haut.
Le Soleil ouvrit sa roue, arbora sa peau de renard immaculée, son hermine et le ciel prit la couleur des plumes et de la farine sacrée.
- Regarde bien vers la terre. Vois-tu, certains ont une longue route, d'autres une courte.
Yatokya vit le destin tracé de chaque être humain, la mort rapide ou lointaine au bout. Il vit les Apaches se ruer sur les Pueblos et les Pueblos implorer. Il vit le Soleil tuer dix Apaches. Il vit un chasseur courir après un cerf et le Soleil sauver le cerf. Il vit un couple d'Indiens s'aimer sous les sapins.
- Quand un enfant est conçu le jour, je deviens son père, dit le Soleil.
Au-dessus d'un camp zuni, il vit beaucoup d'Indiens priant l'est. Il entendit le concert des prières. Il comprit pourquoi certaines allaient sur la haute colline et d'autres étaient jetées à l'écart. Le Soleil dit encore :
- Si un homme souhaite la mort d'un autre, je retourne ce souhait vers lui.
Ils arrivèrent à l'ouest et traversèrent le monde souterrain, passant au-dessus des camps et des peuples où les prières de toutes les langues s'élevaient vers lui. Ils firent halte à l'est puis trois fois encore le tour.
- Mon fils, tu comprends les lois du monde, juge toi-même de ce qu'il est bon de croire ou de laisser. Quand tu rentreras chez toi, dis-leur tout ce que tu as vu.
Ils allèrent à l'ouest.
- Demain, quand je me lèverai, tu glisseras sur l'un de mes rayons : le tien.
Le lendemain, Yatokya glissa sur son rayon lumineux, dans son canoë de peau de serpent. A midi, il entra dans le territoire des serpents à sonnettes et Kohana le suivit. Ils montèrent dans le tronc creux et arrivèrent au crépuscule.
Le peuple zuni entourait son brave, revenu de son périple. Il révéla tout ce qu'il avait vu et compris.
- Le Soleil écoute toutes nos prières, agit comme le Soleil doit agir et nous donne tout ce que nous demandons.
Il entra dans sa tente. La fille-serpent ôta sa peau, la suspendit. C'était une jeune fille, semblable aux prières les plus pures, aussi belle que la Lune. Tandis qu'ils dormaient l'un sur l'autre, la peau de serpent tomba et la tête se fendit en deux. Une année passa. Elle mit au monde deux bébés serpents.
Yatokya fut prêtre du Soleil, maître des solstices. Son voyage l'avait transformé. Il connaissait son propre rayon qui l'unissait au Très Haut. Il savait que le Soleil lisait chaque jour le rayon de chaque humain, que cela affectait le grand être dont la réponse touchait en retour chacun, chacune, toute l'humanité. Il continua de s'entretenir avec le Soleil, illuminant de sa sagesse un peuple entier.
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