Soma le dieu Lune allait seul dans la nuit. Veilleur silencieux, mélancolique, il se plaignit au grand Daksha du poids de sa solitude : le dieu à blason de lièvre avait beau guetter, il se lasait de ne percevoir dans sa course ni la simple luciole ni le plus petit chant. Il était aimé des humains, mais être l'inspirateur de la danse et des amours ne l'apaisait pas. Daksha l'avait fait maître des nuits, pour toujours. Le glorieux rishi l'écouta et lui proposa d'épouser ses vingt-huit filles, adorables danseuses, Naksatra perlées, fines et délicates. Elles se placèrent tels des puits de lumière dans la nuit noire. Soma allait de l'une à l'autre, ravi. Il était guéri du mal de l'exil et des veilles sans fin, tout mouvement le rapprochait de la beauté. Mais celle qui tenait à l'épaule une grande étoile rouge l'attirait de plus en plus.
- Quel est ton nom, fontaine ou biche ?
- Je suis Rohini-la-rouge, dit-elle simplement.
Et face à son sourire, aux lèvres roses, le veilleur Lune fondit d'amour. Dès lors, chaque fois qu'il passait devant Rohini, Soma s'éternisait. Il perdait la notion de ses devoirs. Il tentait bien de rester un peu plus devant chacune, mais en vérité, il faisait des pauses si courtes qu'elles se troublèrent. Il essayait d'être charmant, mais il ne voyait que Rohini. Alors les vingt-sept épouses tentèrent de le séduire. Elles rivalisèrent de grâce fluide, puis démunies, finirent par s'offenser. Car leur époux ne voyait plus qu'une seule étoile dans l'immensité.
Une nuit, elles quittèrent les champs du ciel pour se plaindre auprès de leur père. Daksha reçut leurs doléances et appela Soma. Aux unes, il ordonna de retourner à leurs places, au dieu Lune de conduire les élans de son cœur avec plus d'équité. Mais l'amour est dur d'oreille et l'époux continua sa danse, faisant rougir un peu plus Rohini de bonheur, accablant les mariées. Une seconde fois elle quittèrent le ciel pour se plaindre au grand rishi. Il réitéra ses conseils au dieu Lune et se fit menaçant. Ainsi, Soma se força cette fois à demeurer avec chacune, à prendre du temps, se divertit de leurs ballets et de leur éclat. Mais l'amour est peu endurant aux efforts, il reprit un chemin exclusif, retourna à sa notable surdité. Cette fois, Daksha se tut et appliqua sa sentence :- Que le dieu Lune décline et disparaisse !
Une accablante langueur envahit Soma. Il se mit à dépérir, faiblit jour après jour, fit d'exténuants sacrifice, énonça des vœux fervents de fidélité. Mais la maladie incurable le rongeait. Il n'était plus qu'un fin croissant, qui murmurait "Je meurs d'amour", quand les autres dieux visitèrent Daksha.
- Ô grand créateur, avec l'agonie du dieu Lune, c'est toute la Terre qui meurt. Les herbes sont assoiffées, les fleurs pleurent sous la lumière, le suc des arbres ne sait plus où aller. Les bêtes ont attrapé la langueur, les humains sont contaminés, ils vont s'éteindre.
- Que ce qui est juste soit, répondit le grand rishi.
Daksha allégea la peine à condition que Soma consente à honorer ses filles, qu'il octroie à chacune les mêmes faveurs.
- Quand tu auras prouvé que tu goûtes également à chacune de leurs danses, tu ne souffriras plus de ta langueur que la moitié de la longue veille. L'autre partie du temps, tu guériras. Agonissant, tu descendras dans le fleuve Sarasvati, où les flots sacrés te régénéreront !
Et voilà toute l'affaire.
Quand le dieu Lune semble avoir disparu, il plonge dans le fleuve. Puis, il revient jusqu'à la plénitude. Quand il décroît, il se souvient et il comprend que celui qui ne voit qu'une étoile doit apprendre. Ainsi va la sagesse. Ceux qui lisent dans le ciel le savent, ils tètent le mystère, surprennent le paradoxe : la lune enseigne un chemin d'amour non exclusif, elle rythme le temps et convie à communier avec l'univers. Rohini l'étoile rouge est là, elle aussi. Elle demeure fixe, le temps n'a pas prise sur son amour, elle se délecte de connaître l'époux. San rien attendre, elle goûte les moments éphémères où elle danse, pour celui qui apprend à aimer.
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